Le 19 avril 2019, Laurie* a été agressée sexuellement par un collègue gardien de prison à Rouen. En juin 2022, c’est une délivrance : son agresseur est condamné.
Auteur : Adrien Filoche
Publié le 4 juillet 22 à 7h12
Laurie* se souvient encore bien de cette nuit du 19 avril 2019, lorsqu’elle travaillait comme surveillante au centre de détention de Rouen (Seine-Maritime). Elle avait 27 ans quand c’est arrivé. « C’est arrivé pendant le quart de nuit. Nous avons dû faire une patrouille pour contrôler les détenus. Et pour cela, nous devons être deux. C’est l’officier qui divise les binômes, et je me suis retrouvé avec cette personne. »
« Il m’a fait passer pour une menteuse »
Cette personne est son collègue. « Je le connaissais, mais nous n’avions aucune affinité. Il me plaisait déjà, et je lui ai répondu défavorablement. J’essayais de l’éviter », dit Laurie. Avant de commencer son quart de travail, la superviseure se rend au bureau du gestionnaire pour vérifier l’horaire. « J’avais le dos à la porte. Quelqu’un s’est approché, a placé ses mains sur mes hanches, avant de les amener sur ma poitrine et de les appuyer vers le bas. « C’était lui.
En état de choc, la surveillante ne comprend pas ce qui lui arrive. « Je ne sais pas comment réagir. On peut s’attendre à ce genre de comportement de la part d’un détenu, mais c’était un collègue. Puis, un long silence dans le bureau. Après ce qui a semblé être une éternité, Laurie quitte enfin la pièce. « Un collègue a vu dans ma tête que quelque chose n’allait pas. En larmes, la surveillante qui vient d’être agressée sexuellement tente de raconter ce qui s’est passé. « En fait, à ce moment-là, je veux juste partir, je ne veux pas rester. »
Une mesure de séparation entre les deux surveillants
Son supérieur appelle son supérieur qui avoue avoir saisi son collègue par les hanches. « Mais pas le reste, et ça m’a fait mal parce qu’il m’a fait passer pour une menteuse », dit Laurie. La tête dans le brouillard, il continue le quart de nuit, mais il n’a qu’une envie : partir. « À un moment donné, j’ai entendu quelqu’un m’appeler. C’était encore lui. C’était juste nous deux. Je suis parti et j’ai évité de le revoir. Il déposera un recours le 21 avril.
En plus de sa déclaration enregistrée par la police, Laurie écrit à ses supérieurs pour raconter son histoire. « J’ai demandé à ne plus être avec lui. Et cela a été respecté. « Entre 2019 et mai 2022, le surveillant continue de travailler au centre de détention de Rouen.
Le plus dur était les bruits du couloir. J’ai entendu certains collègues, pas tous, dire que j’étais une « dénonciatrice », une « menteuse », une « fille à problèmes ». J’ai beaucoup souffert à cause de ça.
Pendant deux ans, il observe la mesure de la séparation avec son collègue, le temps de la procédure et de l’enquête. « Puis un jour, le directeur l’a changé. J’ai dû travailler à nouveau avec mon attaquant », fulmine Laurie.
« Les procédures disciplinaires sont mis en suspens au délibéré judiciaire »
Face à ce bouleversement, le surintendant a demandé une rencontre avec le directeur de l’époque, qui a été remplacé en mai 2022. « Il connaissait très bien ma situation. Cependant, sa demande est ignorée. « C’était trop ! Alors quand j’ai su que je pouvais le rencontrer, je ne suis pas venu. J’ai eu des absences non justifiées. Le médecin m’a donné des pauses parce qu’il comprenait ce que je traversais. » Et d’ajouter : « Je pointe plus du doigt le centre de rétention de Rouen et certains surveillants que l’administration. »
Élise Théveny, l’actuelle directrice du centre d’investigation de Rouen, n’était pas au travail au moment des faits : « Je peux simplement vous dire ce qui est écrit dans les dossiers. Toute la procédure s’est déroulée lorsque le superviseur a expliqué ce qui s’est passé. »
Il n’y a pas eu d’omerta. Tout ce qui était nécessaire a été fait.
L’agresseur condamné par le tribunal de Rouen
Le nouveau directeur, arrivé en mai 2022, explique que lors de l’événement, le surveillant a pris en charge l’encadrement de la victime et qu’un suivi psychologique a été immédiatement proposé. « Tous deux ont été interrogés par l’administration, et le rapport a été envoyé au parquet. Les procédures disciplinaires sont toujours mises en attente de contrôle judiciaire », explique Élise Théveny.
Les trois derniers mois de son service, Laurie a été arrêtée par son médecin, avant d’être mutée dans une autre région en mai 2022. « Si j’étais restée, je serais partie en guerre contre ma hiérarchie. Cela me détruisait. Je n’ai pas menti, je sais ce qui m’est arrivé. « Aujourd’hui, le gardien travaille toujours au centre d’investigation, ce qui a été confirmé par le nouveau directeur.
En juin 2022, un tribunal de Rouen a condamné l’agresseur de Laurie à huit mois de prison avec sursis pour agression sexuelle, ainsi qu’à 2 500 euros de réparation pour préjudice moral. « Honnêtement, je n’y croyais pas. Mes collègues m’ont dit : ‘ils auront un rappel de la loi’, ‘mot pour mot’. Au final, la justice est là ! »
Laurie a quitté la Normandie aujourd’hui. Elle a trouvé un emploi dans un nouveau centre d’investigation. « J’ai une bonne équipe, il y a de la solidarité. Je suis dans une institution qui m’a connecté au monde de la prison. »
*Le nom a été changé à sa demande pour préserver son anonymat