Comment un marché rigide en 1992 est-il devenu particulièrement dynamique en 2022 ? La mort est-elle devenue une tendance ? Ou est-ce à cause de l’ingéniosité de nombreux acteurs qui, surfant sur les évolutions culturelles, législatives et technologiques, ont presque réussi à transformer la mort en « amour » ?
Ces acteurs ne sont pas seulement les pompes funèbres bien sûr, les interlocuteurs incontournables des familles et de l’entourage des défunts, mais aussi les innombrables startups qui visent à disrupter un à un les différents marchés du cadavre, à l’image de Grantwill qui veut l’être. le « premier réseau social post-mortem », ou Testament, qui attaque les notaires avec son offre de testaments holographiques sécurisés.
Ce sont justement ces acteurs, leurs offres et leur façon de travailler, que Faouzi Bensebaa et Fabien Eymas analysent dans leur livre Le business de la mort (Éditions L’Harmattan), dont nous vous proposons ici les bonnes fiches…
Des marchés (dé)réglementés
Le renouveau du marché de la mort commence surtout avec la promulgation de la loi Sueur qui sonne le glas du monopole municipal des pompes funèbres. Cela a conduit au développement d’un petit nombre d’acteurs privés qui, profitant de la structure oligopolistique du marché, ont pu augmenter les prix et ainsi augmenter leur chiffre d’affaires.
Cependant, le marché funéraire et, plus généralement, les marchés liés à la mort semblent encore régulés. Lorsqu’une personne décède, il faut respecter la temporalité précisée par les textes légaux. Par exemple, le décès doit être constaté par un médecin dans les 24 heures et la crémation ou l’inhumation doit avoir lieu dans un intervalle compris entre 48 heures après le décès au plus tôt et 6 jours au plus tard. La réglementation joue également un rôle dans le développement des marchés liés à la mort. A cet égard, la France semble prudente et sa réglementation empêche – à tort ou à raison – le développement de marchés comme la cryogénie, l’épandage de cendres ou le suicide assisté.
En imposant la dispersion de toutes les cendres du défunt au même endroit, la législation française réduit la possibilité pour les familles de recourir à certains services créatifs développés à l’étranger. Cependant, le développement de la crémation – 1 % des décès en 1980 contre près de 40 % aujourd’hui – accroît la demande potentielle de différenciation dans la distribution des cendres. S’il est possible, en France, de faire disperser leurs cendres en pleine nature (forêt, mer, etc.), leur transformation en diamants, leur envoi dans l’espace lointain ou encore le dépôt d’une partie d’entre elles dans un gode comme le propose un designer néerlandais ne semble pas possible. Doit-on le regretter ?
Concernant la question plus sensible du suicide assisté, une législation à contre-courant permet à un pays, en l’occurrence la Suisse, de bénéficier d’un avantage concurrentiel par rapport au reste du monde. Concrètement, ce marché ne pouvant exister qu’en Suisse, ce pays attire de nombreux ressortissants européens non suisses désireux de mettre fin à leurs jours, faisant de la Confédération helvétique la principale destination du « tourisme de la mort ».
Même en ce qui concerne les enterrements d’animaux, tout n’est pas possible. Si des animaux pesant jusqu’à 40 kg peuvent être enterrés sur la propriété familiale, c’est dans une fosse d’au moins 1 mètre de profondeur et à une distance minimale de 35 mètres des habitations et des points d’eau. Mais les inhumations dans des cimetières animaliers – celui d’Asnières-sur-Seine (92) date de 1899 ! – et, surtout, les crémations se multiplient. Aux États-Unis, plus de 500 000 animaux par an sont enterrés !
Une ubérisation en cours ?
Incapables de pénétrer des marchés légalement inaccessibles, les startups françaises s’en prennent aux pompes funèbres traditionnelles et… aux notaires ! Les premiers, accusés de pratiquer des prix opaques – et donc forcément abusifs – doivent faire face à l’émergence de pompes funèbres en ligne qui proposent des services comparables tout en promettant des prix cassés.
Paradoxalement, l’arrivée de ces entreprises du numérique dans les années 2010 n’a pas empêché – loin s’en faut – l’inflation des prix pratiqués par les pompes funèbres traditionnelles. Sûrement profitent-ils ou ont-ils profité de la faible attractivité de leurs clients – des personnes âgées en moyenne de 60 à 70 ans – pour le e-commerce. Assurément un simple repos, qui nécessite un développement profond des acteurs qui profitent de la situation d’urgence à laquelle sont confrontées les familles.
Autre exemple de tentative d’ubérisation des acteurs historiques, celle de la startup Testament s’attaquant au monopole de fait des notaires sur le marché des testaments. Mais, à y regarder de plus près, il nous semble qu’il ne s’agit pas d’une attaque frontale, mais plutôt d’une proposition complémentaire qui ne devrait pas – pour le moment en tout cas – mettre les notaires en difficulté.
Il existe en effet trois types de testaments : holographique, authentique et mystique. Le premier est édité et conservé par le testateur lui-même, tandis que les deux autres nécessitent l’intervention d’un notaire : pour l’édition et la conservation dans le cas du testament authentique et simplement pour la conservation dans le cas du testament secret. .
Bien sûr, il est beaucoup plus difficile de contester un testament authentique qu’un testament olographe. Voici Testament qui, en fournissant des modèles, propose d’assurer la rédaction d’un testament olographe. Il semble que, pour l’instant, Testamento cherche davantage à exploiter une pratique hors marché – la rédaction d’un testament olographe – qu’à concurrencer les notaires sur leur marché captif des testaments authentiques.
Mais les marchés liés à la mort ne sont pas seulement touchés par la numérisation que l’on retrouve dans la plupart des secteurs, les technologies les plus modernes sont également mobilisées pour découvrir la clé de l’éternité et ressusciter les morts.
La technologie pour ne pas mourir…
La recherche de l’éternité est ancienne. Depuis l’Antiquité, la façon de manger, en particulier, est associée à la longévité humaine – ou plutôt divine -, l’ambroisie ou le nectar étant réservés aux Dieux. Sisyphe a payé un lourd tribut pour convoiter l’immortalité inaccessible aux simples mortels.
Les avancées technologiques réalisées ces dernières décennies se sont accompagnées de projets que certains jugent fous, pathétiques ou, au contraire, souhaitables et prometteurs. C’est surtout la cryogénie qui, comme nous l’avons indiqué, n’est pas autorisée en France et fait la joie d’une poignée d’entreprises, principalement américaines, qui congèlent les corps et/ou les têtes de personnes décédées d’une maladie incurable et qui. doivent être réveillés dès que les progrès médicaux permettront de les traiter. Pour ceux qui ont choisi de ne geler que la tête, de nouvelles avancées scientifiques sont nécessaires pour un « réveil », qui ne manque pas d’obstacles, indépendamment de ce qui a été gelé.
Le transhumanisme peut donc apparaître comme une solution technologique plus moderne et moins risquée, même si nous n’en sommes encore dans ce domaine qu’au stade de la recherche et donc aucune offre n’a été commercialisée. Mais cette recherche est prometteuse. Des scientifiques sérieux considèrent que la régénération d’un organe endommagé à partir des cellules progénitrices d’un même individu est un objectif réaliste. D’autres publicités, comme celles visant à copier l’esprit humain pour le transférer dans un autre corps ou dans un ordinateur, semblent en revanche plus risquées.
Des entrepreneurs bien connus comme Elon Musk se sont lancés dans l’aventure du transhumanisme. C’est en 2016 avec la création de Neuralink que le fondateur de SpaceX et de Tesla marche sur les traces du transhumanisme. La mission de Neuralink est de développer des implants électroniques dont la fonction est d’améliorer les capacités du cerveau humain. A la fin de l’été 2020, la startup d’Elon Musk a montré qu’elle avait conçu un implant qui, installé sur le cerveau d’un cochon, pouvait lire son activité cérébrale et la communiquer à un ordinateur. A terme, un tel implant pourrait permettre aux humains de diriger des machines avec la pensée…
… ou faire revivre les morts
Sans pouvoir faire immédiatement confiance aux technologies transhumanistes, il est possible de « réanimer » les morts, en partie sans doute. Au moins trois options sont possibles.
La première consiste à utiliser un bot conversationnel ou un salon de discussion pour continuer à échanger avec le défunt après son décès. C’est ce qu’a fait James Vlahos pour poursuivre le dialogue avec son père. Le bon fonctionnement du robot conversationnel nécessite l’enregistrement préalable par le défunt d’histoires, anecdotes et autres récits de vie, que le robot racontera ensuite à la demande. Mais, mieux encore, le robot, grâce à l’intelligence artificielle, est capable de réorganiser les mots des enregistrements, de produire des phrases et donc des conversations nouvelles et non stéréotypées…
Cette option semble compatible avec la seconde qui nous vient du Japon. En 2018, un artiste japonais a fait développer un robot montrant le visage d’un mort et, grâce à un programme informatique intégré, imitant les gestes et la voix du mort. Combiné au chat de James Vlahos, ce robot se rapprocherait encore plus des morts.
La troisième option consiste à rendre visite au(x) défunt(s) dans un monde virtuel utilisant la technologie de la réalité virtuelle. C’est ce qu’a pu faire la Corée du Sud, début 2020, dans une émission diffusée à la télévision. En mélangeant des photos de sa fille de 7 ans, décédée trois ans plus tôt, et les mouvements d’un enfant, Vive Studio a créé un personnage qui ressemble exactement à la progéniture de la mère.
Ces évolutions ne sont pas sans soulever des questions. Surtout ces moyens technologiques qui permettent de faire revenir les morts ou de les faire revivre d’une autre manière posent la question de la faisabilité du deuil. Des questions que se posent parfois les créateurs de ces substituts technologiques aux morts. C’est ainsi que James Vlahos exprime la contradiction entre son désir d’améliorer son papa – un papa robot – et son désir de ne pas le rendre trop réel pour permettre le chagrin…