« Catastrophe du changement climatique » : En 1977, la Maison Blanche savait déjà

C’était il y a presque cinquante ans. Une note édifiante du conseiller scientifique du président Jimmy Carter circulait sur les plages de la Maison Blanche. Sur une page, un homme, Frank Press, a sonné l’alarme sur les effets imminents du changement climatique, appelant à une action politique immédiate. Déclassifiée le mardi 14 juin et révélée par le quotidien anglais The Guardian, cette note devait changer l’histoire. Mais l’histoire est donc faite de « si » qui changent à jamais son cours. Parce que le successeur de Jimmy Carter à la présidence américaine, Ronald Reagan, l’a lentement mise sous le tapis avant qu’elle ne réapparaisse soudainement 45 ans plus tard.

A y regarder de plus près, Franck Press avait raison sur presque toute la ligne. Et il a conçu une analyse que nous pouvons considérer comme prémonitoire. « La concentration de CO2 dans l’atmosphère peut être multipliée par 1,5 voire 2 en 60 ans par rapport aux niveaux préindustriels », prédit-on avec justesse, alors que le niveau actuel est déjà plus de 1,5 fois supérieur à celui des années 1700.

Ce graphique montre que la concentration atmosphérique de dioxyde de carbone a augmenté de 1,5 fois entre l’ère préindustrielle et aujourd’hui.

« L’urgence du problème découle de notre incapacité à passer rapidement aux combustibles non fossiles une fois que les effets du changement climatique sont devenus apparents au début des années 2000 », a écrit le géophysicien. Prémonitoire, disaient-ils.

Ce passage de la note écrite par le scientifique Frank Press en 1977 à l’attention de Jimmy Carter alerte sur la nécessité de sortir des énergies fossiles.

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Et le scientifique prévient : « Ce changement climatique rapide pourrait entraîner des mauvaises récoltes à grande échelle, à un moment où la population mondiale exploite l’agriculture jusqu’aux limites de ses capacités productives. » L’histoire aurait-elle pu être différente si cette note n’était pas tombée dans l’oubli lorsque Ronald Reagan a pris le pouvoir ? « Certes », assure le climatologue François Gemenne, qui a précisé que « l’objectif de maintenir la hausse des températures en dessous de 1,5°C était encore atteignable à l’époque ».

« Nous avons perdu une décennie »

Plus précisément, cette note visait à prendre des décisions politiques clés suffisamment tôt pour éviter une impasse. Idem pour le rapport Charney que Jimmy Carter commanda à l’American National Academy of Sciences à la suite de cette note en 1979, et qui synthétisait les connaissances sur l’impact possible des activités humaines sur le climat. « Le réchauffement climatique doit être à l’ordre du jour politique international pour maximiser la coopération et la recherche d’un consensus, limitant ainsi la manipulation politique, la controverse et la division », a-t-il déclaré.

Ce jour-là, c’était en 1979, et presque tout ce que nous savons aujourd’hui sur le réchauffement climatique, nous le savions alors. Les dirigeants des années 1980 et 1990 qui ont suivi ont dû prendre les choses en main, en s’appuyant notamment sur cette note de Frank Press, comme en témoigne le livre Losing Earth : The Decade We Almost Stopped Climate Change, de Nathaniel Rich. La réalité était toute autre. « Nous avons perdu une décennie », est forcé de constater François Gemenne. Pourquoi alors, malgré l’émergence d’un consensus scientifique sur le changement climatique depuis la fin des années 1970, la planète a-t-elle perdu son rendez-vous avec la protection essentielle du climat ?

Rendez-vous raté

Plusieurs facteurs étaient importants. D’abord, un sentiment partagé par de nombreux politiciens américains, Reagan en tête, que la question climatique avait un « bénéfice électoral faible », analyse Nathaniel Rich. A cela s’ajoute une forte aspiration au néolibéralisme, caractéristique de l’ère Reagan-Thatcher, qui rendait inconcevable la mise en place d’instruments économiques pour le climat. Le tout couronné par une pression massive des lobbies fossiles, finançant des campagnes de désinformation et soudoyant des scientifiques pour discréditer l’action climatique. « L’élection de Reagan nous rend heureux », a déclaré le président de la National Coal Association of America.

Preuve de son désintérêt pour les questions environnementales, Ronald Reagan a dû retirer les panneaux solaires du toit de la Maison Blanche, que son prédécesseur avait déployés. Une décision symbolique marquant la fin des efforts de Carter pour organiser la lutte contre le changement climatique. La note d’avertissement de Frank Press publiée trois ans plus tôt est enterrée, et le rapport Charney est également oublié. Résultat? Dans les années 1980, aux États-Unis, la pire pollution du monde, rien n’a été fait pour stimuler une transition qui aurait eu la capacité d’en être l’instigatrice, stoppant ainsi le réchauffement climatique à une époque où tout était encore possible.

« Nous ne serions pas sur la trajectoire actuelle »

« Si nous avions agi politiquement avant, nous ne serions pas sur la trajectoire actuelle », explique François Gemenne, rappelant au passage que « la voie sur laquelle nous sommes est irréversible ». « S’il nous était encore possible de limiter la hausse des températures – et donc de limiter les dégâts – la température ne baisserait plus, on ne connaîtrait plus, de toute façon, le climat du XXe siècle. », analyse- il.

Cependant, le co-auteur du dernier rapport du GIEC reconnaît toutefois que cette note n’avait même pas le potentiel d’amorcer un changement radical. « Même si elle avait été plus médiatisée, je ne pense sincèrement pas que cette note aurait pu entraîner un changement de modèle », admet-il. Et pour cause : les entreprises d’énergies fossiles financent à plein régime des lobbies climatiques, incitant à une stratégie douteuse. Et, comme nous le savons aujourd’hui, le doute profite toujours à son auteur, qu’il s’agisse du tabac, de la pollution ou du climat.

Aux États-Unis, l’affaire Exxon est emblématique de ce phénomène. Depuis 1980, alors que les discours d’avertissement tenus par des scientifiques devant le Congrès américain se sont accumulés, le leader mondial du pétrole a fait circuler des notes en interne, appelant à « mettre en lumière l’incertitude qui règne autour des conclusions scientifiques ». Un an plus tard, un lobby climatique se met en place à l’initiative d’Exxon et de l’American Petroleum Institute, et il est rebaptisé Global Climate Coalition, pour remettre en cause ses intentions, alors qu’en réalité il dépense des millions de dollars dans des campagnes de désinformation.

Outre-Atlantique, si la note de 1977 a eu peu de retentissement, les conclusions auxquelles sont parvenus les scientifiques européens sont similaires, mais l’intense lobbying des industries fossiles est aussi un frein à leur transposition dans les textes. « Le poids des lobbies pétroliers est tel que le projet de taxe carbone, que l’Europe envisageait déjà à l’époque, a été abandonné », explique François Gemenne.

Il faudra dix ans après la publication de la note pour former le GIEC en 1988, après une longue bataille avec Ronald Reagan et Margaret Thatcher. Enfin, la note de la Maison Blanche insiste sur une chose : depuis la fin des années 1970, la réalité du changement climatique était déjà connue, mais l’action de certains industriels et politiques a fait perdre à l’humanité de précieuses années que nous ne rattraperons peut-être jamais. .

Opinions

La Chronique de Frédéric Filloux

Par Dominique Reynié, professeur des universités en sciences du Po et directeur général de la Fondation pour l’innovation politique

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