« Finfluenceurs » : le terme ne vous dit peut-être rien, mais si vous êtes fan des réseaux sociaux, vous en avez probablement déjà croisé. Un YouTuber qui explique quel crypto wallet choisir, un Instagramer qui décrypte des taux d’intérêt complexes ou un TikTokeur qui promet de dévoiler ses secrets pour devenir millionnaire… Depuis quelques années, de plus en plus d’influenceurs se spécialisent dans le domaine de l’économie et finance. Dans des vidéos accrocheuses ou des posts pédagogiques, ils partagent leurs conseils sur divers réseaux sociaux pour mieux gérer leur budget personnel et s’enrichir, ou encore leurs analyses sur l’évolution du marché et les nouveautés de la famille crypto. Selon une étude d’HypeAuditor, plateforme spécialisée dans le marketing d’influence, la catégorie des influenceurs Instagram « finance et économie » est celle qui a connu la croissance la plus rapide en France l’an dernier (près de 30%), en pleine épidémie de Covid… à venir de l’influence de « la santé et la médecine ».
Comme souvent, cette vague est partie des Etats-Unis, où la tête d’affiche « finfluencer » s’appelle Austin Hankwitz. Lunettes sur le nez, polo décontracté ou costume avec cravate, l’ancien analyste financier de 26 ans donne désormais ses conseils sur TikTok et autres réseaux sociaux, en partenariat avec des start-up et des sociétés financières. Selon les déclarations faites à Bloomberg l’année dernière, il gagnerait plus de 500 000 dollars par an grâce à son nouvel emploi. Mais la France a aussi ses têtes d’affiche, comme Hasheur ou Matthieu Louvet.
Et derrière les noms les plus célèbres se cachent des centaines d’autres comptes sur Instagram, YouTube ou TikTok, où le nombre de followers grossit de semaine en semaine. « De janvier à début septembre, mon nombre d’abonnés a doublé, passant de 20 000 à 40 000 », témoigne Maeva, la créatrice du compte Instagram « Mon Budget Bento », qui, en plus du travail commercial, crée des posts sur la vie pendant deux ans. assurance, SCPI ou taux d’attrition.
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Un manque d’éducation financière
« Le phénomène a d’abord existé sur YouTube, avec des créateurs de contenus « historiques » comme Heu?reka qui ont longtemps popularisé les sujets économiques et financiers. Mais d’autres réseaux sociaux comme Instagram et TikTok ont permis de donner une plus grande visibilité à ces sujets », explique Aurélie Balesta. , directeur des équipes opérationnelles chez Influence 4 You, agence spécialisée dans le marketing d’influence. Surtout, la période Covid a fait disparaître l’attrait des « finfluenceurs ». Entre l’ennui du confinement qui emplit les réseaux sociaux, l’envie de reprendre le contrôle de son budget à l’heure où certains ont vu leurs revenus diminuer en raison de la pandémie, et l’incertitude économique de long terme : tous les ingrédients étaient réunis pour pousser toujours plus les gens à suivre leurs factures, ce qui cause des problèmes économiques et financiers.
« La montée en puissance des influenceurs financiers s’est accompagnée d’un intérêt croissant des jeunes pour la bourse », note Claire Castanet, directrice des relations déposants à l’AMF (Autorité des marchés financiers). Le monde obscur des crypto-monnaies, source de fascination pour de nombreux millenials mais nécessitant l’adoption de concepts parfois compliqués, a également alimenté l’émergence de créateurs de contenus liés à ces sujets. « J’ai mis beaucoup de temps à comprendre avant de pouvoir faire mes premiers investissements dans les crypto-monnaies, donc je pensais que c’était le cas de la plupart des gens », explique Caroline Jurado, influenceuse spécialisée dans les crypto-monnaies, qui a lancé une newsletter pédagogique sur le sujet, lit 49 000 personnes.
Mais l’attractivité des comptes « finfluenceurs » s’explique aussi par des raisons plus structurelles. « Les jeunes se tournent vers ces créateurs de contenus pour combler le vide : aujourd’hui seuls 15% des Français ont reçu une éducation financière, alors que 82% veulent investir », analyse Matthias Baccino, PDG de France Trade Republic. Le nouveau broker fait également partie des sociétés financières qui recherchent aujourd’hui des influenceurs pour des posts sponsorisés, comme la « startup française », alias Hughes Trijasse, qui partage ses astuces business et ses investissements en bourse, crypto-monnaies et immobilier, ou encore travaille avec Boursora.
« Nous avons essayé de le faire sur nos propres comptes de médias sociaux, mais cela ne fonctionne pas très bien, malgré nos milliers de followers », explique Matias Bacchino. « Les Fintech investissent beaucoup dans le marketing d’influence, et ont contribué au développement de la niche des influenceurs finaux, contrairement aux entreprises traditionnelles de la place financière, beaucoup plus frileuses », souligne Quentin Bordage, fondateur de Kolsquare, une plateforme qui permet aux entreprises pour trouver de « vrais » influenceurs. Enfin, la méfiance à l’égard des médias plus traditionnels et l’éternel leurre de l’argent facile promis par certains influenceurs peu scrupuleux touche aussi la population jeune, parfois crédule, souvent cassée, qui rêve aussi de conduire un grand train.
Risques d’arnaque
Parce que dans le monde des « finfluenceurs », tous les contenus ne se valent pas. Si certains sont de bonne qualité, d’autres sont plus problématiques, et certains sont même… des arnaques. Une centaine d’abonnés au compte du YouTuber Crytogouv en ont fait l’amère expérience. Pendant plusieurs mois, celui qui s’est présenté comme un « investisseur en crypto-monnaie depuis 2012 » a animé une chaîne de tutoriels sur la crypto-monnaie. Mais il ne s’est pas contenté de donner des conseils. Dans le même temps, il propose à certains de ces adeptes de constituer des « pools » d’investissements. Certains ont investi quelques euros, d’autres des sommes plus importantes. Début juillet, le YouTuber a publié la dernière vidéo pour leur expliquer qu’il s’agissait d’une arnaque. Depuis, il s’est envolé avec 4 millions d’euros…
D’autres pratiques problématiques sont également en augmentation. « On nous signale des formations qui promettent d’apprendre aux internautes à devenir rentiers, qui sont en fait des systèmes pyramidaux : il faut alors recruter d’autres personnes pour espérer toucher une commission », explique la DGCCRF (Direction générale de la concurrence, de la consommation). et prévention de la fraude). « Si une personne vous explique qu’elle a travaillé dur avant de découvrir une telle formation, mais qu’elle souhaite maintenant partager ses secrets avec vous, il faut être prudent », renchérit Anne-Claire Bennevault, fondatrice de la plateforme. SPAK education et BNVLT, une société qui conseille l’écosystème financier sur les questions de communication et de marketing.
« Certains influenceurs peuvent également diriger leurs abonnés vers des plateformes qui ne sont pas situées en Europe et qui ne sont pas concernées par les réglementations européennes qui protègent les épargnants. Sans ces garanties, certains utilisateurs peuvent perdre plus que leur investissement initial et donc toutes leurs économies ou se retrouver en s’endetter », raconte Claire Castanet. Autre fléau, les « copies » de comptes d’influenceurs reconnus qui fleurissent. « De nombreux faux comptes ont été créés sous mon nom : ils achètent alors des followers et proposent de faux services aux personnes qui les suivent », soupire Hughes Trijasse. .
Des vidéos avec un titre aguicheur
Outre la fraude, certains contenus peuvent parfois poser problème lorsque les « finfluenceurs » oublient de prévenir des risques d’investissement, flirtent avec le conseil en investissement, métier très réglementé en France, ou ne sont pas totalement transparents dans leurs partenariats de marque. Selon le dernier rapport de l’Observatoire de l’Influence Responsable, étude menée par l’ARPP, 27% des partenariats n’ont pas été identifiés par les influenceurs (tous domaines confondus) et 32% des mentions pourraient être « améliorées ». Les problèmes sont parfois liés à la méconnaissance de la réglementation de cette activité en plein essor. Mais aussi sur le type de contenus qui « fonctionnent » sur les réseaux sociaux, percutants et impactants, et sur la durée imposée à certains d’entre eux (30 secondes par exemple sur TikTok), deux éléments qui favorisent la création de contenus pouvant susciter la polémique.
Caroline Jurado, influenceuse reconnue, en a fait les frais en juin dernier avec une vidéo intitulée « Devenir millionnaire avec 300 euros par mois », qui a fait beaucoup de bruit, et pour laquelle elle a reçu beaucoup de critiques. « Je voulais juste expliquer les effets cumulatifs avec un exemple d’entreprise que j’aime – ce n’était même pas un partenariat rémunéré – et j’ai remarqué que les vidéos les plus vues étaient celles qui avaient un titre accrocheur », explique-t-elle. La vidéo a depuis été supprimée « et je fais plus attention à la façon dont je titre mon contenu », dit-elle.
Bercy planche sur le dossier
Face à ce Far West, certains réseaux sociaux ont commencé à serrer la vis. TikTok a interdit la promotion de contenu sponsorisé lié aux services d’investissement et aux crypto-monnaies. Et les autorités tentent de rétablir l’ordre. L’ARPP (Autorité de régulation professionnelle de la publicité) vient de lancer une version de son attestation d’impact responsable, spécifiquement destinée au secteur financier, en partenariat avec l’AMF. « Cela permet aux influenceurs d’être formés à des règles de base comme la transparence ou l’identification de la publicité, mais aussi plus spécifiques au secteur financier, comme l’avertissement des risques potentiels de perte », explique Stéphane Martin, directeur général de l’organisme.
La certification n’est bien sûr pas obligatoire, mais certaines entreprises exigent désormais que les influenceurs avec lesquels elles travaillent aient cette certification. L’AMF s’est investie dans le domaine des réseaux sociaux afin de mettre en place une campagne de sensibilisation et d’adresser un certain nombre de messages aux plus jeunes. Et un dossier plus global sur les risques d’excès d’influenceur — mis en lumière par une « querelle » estivale entre Booba et un influenceur de télé-réalité, que le rappeur accuse de fraude — fait partie de ce sur quoi travaille Bersi. En attendant, les experts du secteur conseillent de se méfier de tout ce qui ressemble à des conseils en investissement et de toujours faire ses propres recherches avant de suivre aveuglément les conseils financiers sur les réseaux sociaux.
« Il faut aussi différencier les influenceurs à la notoriété préexistante, comme ceux de la télé-réalité, qui viennent rentabiliser cette notoriété en embrassant à peu près tout et n’importe quoi, et les créateurs de contenus dont le seul actif est leur communauté, qui ne peuvent pas laissez-les tomber : le niveau maîtrise de soi est de toute façon plus important », note Matias Bacino. En suivant ces quelques conseils, vous ne deviendrez peut-être pas milliardaire, mais vous éviterez d’y laisser toutes vos économies.
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