Drones, tracteurs autonomes… Une nouvelle révolution dans l’agriculture

Cadence est un cheval high-tech. Chaque fois que la jument brune lève la queue pour un besoin naturel, le mouvement est enregistré par un capteur GPS accroché à son poil. Il envoie immédiatement un signal au logiciel et fournit l’emplacement exact du tas de fumier. Imaginez que «l’événement», comme le dit joliment Robin White, professeur à Virginia Tech, se produise dans un champ déjà riche en engrais, Husky, un robot qui ressemble à une grosse tondeuse à gazon, est automatiquement alerté. Il s’y rend, ramasse la bouse et la transporte à l’endroit voulu. « Grâce à ces données, il est potentiellement possible de mieux gérer l’épandage, de limiter la quantité d’engrais et la pollution des cours d’eau », explique Robin White.

Le Center for Advanced Innovation in Agriculture, laboratoire de recherche au sein de Virginia Tech, une université de Virginie (USA), développe la ferme du futur. En ce matin d’août, Cadence est munie de capteurs aux oreilles, aux sabots et à la queue qui mesurent non seulement ses excréments mais aussi son rythme cardiaque, un bon indicateur du niveau de stress. Les chercheurs reçoivent des notifications électroniques si le cheval est agité, effrayé par un prédateur ou parce qu’il est sur le point de mettre bas. Attaché à son oreille est un spectromètre, un instrument qui permet de décomposer un faisceau de lumière. « Cela nous permet de voir ce que Cadence regarde. Si la couleur est verte, nous savons qu’elle broute, nous pouvons voir ce qu’elle mange, quel type d’herbe elle préfère et ajuster sa nourriture en conséquence », poursuit Robin White, alors qu’il essaie pour retenir la jument, qui, indifférente à son équipement, tire sur sa longe pour gagner un carré d’herbe folle devant la grange.

Des drones inspectent les cultures agricoles

« L’agriculture vit une nouvelle révolution », résume Susan Duncan, la directrice du centre. Après les avancées de la mécanisation et de la génétique des semences, vient l’ère de la ferme intelligente, qui utilise une combinaison de robots, de drones, d’imagerie satellitaire, de capteurs connectés à Internet, d’intelligence artificielle…

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Les grandes exploitations utilisent déjà ces technologies. Des drones autonomes équipés de caméras observent quotidiennement l’évolution des cultures pour déterminer leur vitesse de croissance, évaluer les besoins en eau ou encore détecter la présence d’insectes. Les capteurs de sol surveillent l’humidité, les nutriments. Des tracteurs autonomes ajustent la quantité d’engrais et de pesticides à pulvériser pour chaque parcelle. Les robots savent désormais reconnaître et arracher les mauvaises herbes.

Mais grâce à la baisse du prix des drones, l’agriculture de précision se démocratise. La grande quantité de données recueillies par ces outils sophistiqués est introduite dans des modèles informatiques qui aident à déterminer le meilleur moment de plantation, à identifier les risques de maladies et même à prédire les rendements des cultures. A terme, l’agriculteur pourra piloter son exploitation depuis sa cuisine (ou depuis son transat) en programmant une armée de robots et de drones sur son téléphone portable, capable de travailler la nuit ou sous la pluie.

Le grand avantage de l’automatisation est de compenser l’énorme pénurie de main-d’œuvre dans l’agriculture, qui ne cesse de s’aggraver après le renforcement des contrôles migratoires à la frontière. Près des trois quarts des travailleurs agricoles sont des immigrés et au moins la moitié sont sans papiers.

Avec son drone, un éleveur peut inspecter son bétail tous les matins en dix minutes et repérer si une de ses vaches boitait, par exemple, au lieu de se rendre au pré pour revoir le troupeau. Hasan Seyyedhasani, professeur d’automatisation et de technologies connectées à Virginia Tech, teste un robot pour tailler les plants de tomates, un travail qui demande normalement beaucoup de travail. À l’aide d’une série de caméras et de capteurs, Husky détermine la densité des branches et coupe l’excédent. D’autres startups expérimentent la reconnaissance faciale sur le bétail. L’éleveur peut contrôler l’alimentation, le comportement de chaque animal et détecter les émotions comme la douleur.

« Dans dix ans, on verra cela partout »

Ces techniques de pointe améliorent naturellement les performances et l’impact environnemental. En 2020, XAG, le fabricant chinois, a organisé une manifestation dans la province du Guangdong. Il a demandé à deux agriculteurs de planter cinq kilos de semences de riz de manière traditionnelle dans un champ inondé. Ils ont mis vingt-cinq minutes. Puis il a lancé un drone qui a effectué la même tâche en… deux minutes. Sur le campus de Virginia Tech, le professeur David McCall et l’un de ses étudiants testent un autre type de drone capable d’identifier la présence d’un champignon pathogène dans la pelouse à une hauteur de 25 mètres. L’avion noir surmonté de caméras survole une parcelle et prend des centaines de photos pour cartographier les zones touchées qui seront pulvérisées à la bonne saison. « Ainsi, un club de golf n’a traité que 15% de son terrain au lieu d’appliquer de l’herbicide partout, précise David McCall. Dans dix ans, cette technologie ne sera plus considérée comme innovante. On la verra partout. »

Comme beaucoup d’autres. Car en plus du réchauffement climatique et du manque d’eau, la planète fait face à une explosion démographique. D’ici 2050, avec près de 10 milliards d’habitants, les experts s’attendent à ce que la production alimentaire double. Cela nécessitera un sérieux effort de productivité. D’où l’intérêt soudain des investisseurs pour ce secteur jusqu’alors délaissé. Selon BI Intelligence Research, les dépenses mondiales en technologie agricole intelligente devraient tripler entre 2021 et 2025 pour atteindre 15,3 milliards de dollars.

Selon le professeur Seyyedhasani, l’avenir passe par la coopération entre robots et drones : « Ces derniers peuvent inspecter de grandes surfaces très rapidement, mais ils ont un temps de vol réduit à une vingtaine de minutes et nécessitent donc une supervision. Le robot, bien que plus encombrant, dispose d’un autonomie de trois heures et agit de manière beaucoup plus précise pour trouver des plantes malades par exemple ». En janvier, John Deere, le fabricant de machines agricoles, au CES, le grand salon technologique de Las Vegas, a dévoilé son premier tracteur entièrement autonome. Ses six paires de caméras et de capteurs utilisent l’intelligence artificielle pour éviter les obstacles. Il suffit de le poser sur le champ et l’agriculteur peut le contrôler à distance via une application sur son téléphone. Cette petite merveille technologique relève encore de la science-fiction pour la majorité du pays car elle est fortement dépendante de la 5G. Mais non seulement de nombreuses zones rurales n’ont accès qu’à Internet lent, ce qui empêche le transfert rapide de données, mais 18 % des fermes américaines n’ont même pas Internet, selon une étude du Benton Institute for Broadband and Society.

Fermiers contre hackers

Les agriculteurs, population vieillissante, sont également réticents à investir dans ces outils coûteux dont la fonction leur est inconnue. Quant aux jeunes générations, elles préféreraient de loin faire carrière dans la Silicon Valley que dans les profondeurs du Nebraska. « Nous avons des problèmes de recrutement, avoue Susan Duncan, la directrice du centre de recherche de Virginia Tech. Quatre heures par jour. »

Il est clair que plus les agriculteurs sont connectés à Internet, plus ils sont vulnérables aux cyberattaques de pirates expérimentés, de gouvernements étrangers ou même du fils du voisin un peu trop passionné par le piratage. L’an dernier, un groupe russe a piraté le système du plus grand abattoir des États-Unis, provoquant la fermeture temporaire de plusieurs usines et une pénurie de viande. « C’est la nouvelle menace, explique Susan Duncan. Quelqu’un avec de mauvaises intentions peut détourner le drone, modifier la température des tanks à lait, modifier les besoins en engrais et détruire les récoltes. » De là au cheval Cadence, qui s’insurge contre la surveillance électronique de sa digestion…

Opinions

La chronique de Christophe Donner

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