Adam Neumann est de retour. Pour ceux qui seraient restés confinés, Neumann est le créateur de WeWork, l’entreprise censée révolutionner le concept de l’espace de co-working. En effet, cette histoire entrepreneuriale s’est surtout caractérisée par le niveau des pertes subies par les investisseurs. On ne sait pas grand-chose de sa nouvelle aventure intitulée Flow. Il s’agit évidemment d’un bien immobilier, mais il s’agit cette fois d’un immeuble résidentiel. Et comme le garçon n’abandonne jamais, il imagine sa nouvelle société planétaire et s’en donne les moyens. À la surprise générale, le financement est venu de la société de capital-risque la plus médiatisée de la Silicon Valley : Andreessen Horowitz, a16z en abrégé, qui a signé le plus gros chèque d’investissement initial : 350 millions de dollars pour sa première tour, ce qui a poussé la valeur de Flow au-dessus de 1 $. milliard. Du jamais vu pour une entreprise débutant ses activités en 2023.
Que sait donc Marc Andreessen, cofondateur de a16z ?
Dans son blog, l’investisseur est plutôt vague sur les raisons de sa décision, sauf que Flow veut repenser l’immobilier sous l’angle d’une société post-Covid caractérisée par une grande résignation. Idée : Le modèle économique du logement ne s’applique pas à l’individu. Il est pris entre l’abîme de l’acquisition, qui oblige à s’endetter à long terme et met en danger la mobilité professionnelle, et la location, et ses loyers inégaux, sensibles à la conjoncture économique (ils ne sont pas réglementés aux États-Unis, où le bailleur peut décider en majoration de 30% si le marché l’exige). A cela s’ajoute le fait que de nombreux travailleurs du secteur tertiaire ne retournent pas au bureau, sans même compter ceux qui ont démissionné.
« L’immobilier résidentiel doit prendre en compte cette nouvelle dynamique, note Marc Andreessen. Mais force est de constater que le marché du logement n’est pas absolument prêt pour ces évolutions. Flow traite très précisément cette problématique. » Le long éloge funèbre d’Adam Neuman fait suite au fait qu’a16z apprécie les récidivistes et les chefs d’entreprise visionnaires qui ont appris de leurs aventures passées : « Nous pensons donc qu’il est tout naturel qu’Adam Neumann, dans sa première aventure chez WeWork, renoue avec l’idée de connecter les gens en transformer leur espace physique pour créer la communauté où ils passent le plus de temps : c’est-à-dire à la maison. Ce résumé caricatural, combiné à l’expérience WeWork, permet toutes sortes de spéculations. Neumann pourrait faire un gros investissement dans les espaces résidentiels, avec des hôtels Des services similaires et des espaces communs ajoutés. De quoi désenclaver les millenials et mutualiser leurs contributions à la décarbonation avec l’idée de phalanstère high-tech.
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Les six leçons du professeur Neumann
On admire la capacité d’Adam Neumann à rebondir avec un concept issu de sa fortune (et de la perte de ses investisseurs d’hier) mais transformé par les évolutions récentes de la société. Le génie de Neumann réside dans six leçons presque magistrales qui ont façonné l’histoire de WeWork :
– Premièrement, prenez une vieille idée, dans ce cas le coworking. Habillez-le d’un concept novateur qui parle d’une communauté retrouvée, d’un mode de vie réinventé, etc.
– Deux, ne jouez pas aux armes légères. Pensez globalement. Planétaire. Croissance rapide. Collectez donc beaucoup d’argent. Au total, les investisseurs ont investi 21 milliards de dollars dans WeWork (à titre de comparaison, SpaceX n’a même pas levé 10 milliards de dollars).
– Troisièmement, investir massivement sur un principe assez contre-intuitif : une dette colossale à long terme est donc compensée par un loyer hyper-court terme. Une abondance d’obligations pluri-mensuelles qui rendent les encaissements très sensibles à la conjoncture économique. C’est le genre de business model qui aurait donné à l’étudiant un 4 sur 20, mais peu importe. D’ailleurs, ne lésinez pas sur la créativité comptable en inventant vos propres instruments de mesure ; Ainsi, au lieu d’une perte de marge brute, Neumann a créé le concept génial de « Community Adjusted EBITDA », où la perte a été ajustée en fonction du nombre d’occupants de bureaux…
– Quatrièmement, maintenez une ligne fine entre les finances de l’entreprise et votre propre argent : un jet privé de 60 millions de dollars, des soirées folles, une femme excentrique et incroyablement chère, exploitant les actifs de l’entreprise pour satisfaire vos lubies destructrices, une entreprise qui vise à collecter des droits » marque de fabrique uniquement pour le couple Neumann bon sang… A ce stade, il faut nourrir la légende, qui engendre aussi des livres, des documentaires et l’excellente série télévisée WeCrashed.
– Cinq, plante tout. C’est probablement la partie la plus technique. WeWork envisage une introduction en bourse à une valorisation de 47 milliards de dollars, sur la base de sa présence dans 38 pays où il a développé 756 espaces de coworking. Mais lorsque le marché et la presse se sont penchés sur ses comptes, l’immeuble s’est effondré. L’opération boursière a été annulée et tout le monde a commencé à mesurer ses pertes, à commencer par l’investisseur japonais Softbank, qui a dû radier plus de 9 milliards de dollars, et les fonds du Moyen-Orient, qui ont également dû faire zéro milliard de dollars d’investissements. Aujourd’hui, les chiffres de WeWork sont brutaux : une valorisation de 4 milliards, un chiffre d’affaires 2021 de 2,57 milliards et une perte nette de 4,44 milliards. Même « sur mesure » par près de 600 000 piqûres de membres.
– Six, monétisez votre sortie au maximum. Adam Neumann est à nouveau orfèvre. Après avoir été licencié, alors que son conseil d’administration sortait de son hibernation, il a accepté une indemnité de départ de 1,7 milliard de dollars versée par Softbank, plus un contrat de conseil annuel de 46 millions de dollars. Avec ces quelques cinglés, il a réussi à réunir suffisamment d’argent pour acheter 4 000 (quatre mille !) appartements aux États-Unis, qui devraient constituer le cœur de son nouveau concept – qui mérite d’être suivi de près.
Schizophrène Silicon Valley
Enfin, il y a une histoire dans une histoire. Aussi évanescent soit-il, le projet de Neumann n’est ni plus ni moins que de l’immobilier collectif, certes destiné à de jeunes travailleurs bien payés, mais il reste des habitats à construire ou à acquérir. Aux États-Unis comme en France, les municipalités doivent intégrer le logement abordable dans l’urbanisme. Il y a quelques mois, l’investisseur principal de Flow, Marc Andreessen, s’était fait remarquer en s’insurgeant publiquement contre un projet de projet de logements collectifs à Atherton, une enclave californienne aisée où il possède quatre résidences.
Il ne s’agissait certes pas de construire une Cité des 4000, mais simplement quelques immeubles de cinq ou six appartements pour la plupart, dont le plus important est un logement de 40 appartements planté sur un terrain de deux hectares, qui est essentiellement destiné à la classe moyenne – par exemple, les secouristes, qui vivent souvent à une heure de route.
L’épouse d’Andreessen, elle-même héritière d’un immense empire immobilier, a écrit une lettre de colère au conseil municipal d’Atherton dénonçant le projet, qui, selon elle, « pourrait ÉNORMÉMENT réduire la valeur de nos maisons, ainsi que notre qualité de vie, et EN TOUTE SÉCURITÉ augmenter la pollution et le trafic. » un syndrome très répandu porte même un nom : NIMBY, Not in my backyard, littéralement « pas dans mon jardin » ; une schizophrénie typique de la Silicon Valley, où les enfants des familles vivant à proximité d’écrans gavés n’ont que peu l’accès aux tablettes et aux téléphones. Bref, une boîte de société parfaite.
Opinions
Chronique d’Aurélien Saussay
Par Aurélien Saussay, Research Fellow à la London School of Economics, économiste de l’environnement spécialisé dans les questions de transition énergétique
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