En Gambie, l’exploitation du sable détruit le littoral. Ceux qui s’opposent à cette économie parallèle paient parfois de leur vie.
C’est un paysage lunaire de plusieurs kilomètres de long, plein de fissures et de dunes de sable. À quelques mètres de la côte de la Gambie, pays d’Afrique de l’Ouest, des mines de sable noir à ciel ouvert s’étendent à perte de vue. La ville côtière de Sanyang est l’épicentre de ce commerce en Gambie. À leur entrée dans la ville, des centaines de camions chargés de sable effectuent de multiples allers-retours pour décharger leur cargaison. D’innombrables points de contrôle de la police contrôlent les voitures sans arrêter ces poids lourds. Sous de fortes pluies, les mineurs gambiens sont épuisés alors qu’ils extraient du sable à l’aide de machines chinoises.
Depuis 2018, la société minière Gambia Angola China (GACH Mining) utilise du sable noir, qui contient de fortes concentrations de zircon, de silice et de quartz [1]. Dirigée par l’homme d’affaires gambien Abubakary Jawara, également consul général de Gambie à Pékin, cette société exporte ce sable vers la Chine au prix de 200 dollars la tonne, soit 196 euros.
Dans une mine au sud de Sanyang, des mineurs épuisés errent en lambeaux. Certains dorment en prison, d’autres prient le front contre terre sur un tapis brodé. Sous un abri de fortune, douze d’entre eux fument des cigarettes chinoises, entourés par l’odeur d’essence des engins de chantier. La plupart de ces travailleurs n’ont pas le luxe de refuser le travail, aussi exténuant soit-il. Pendant la saison des pluies, de fréquentes inondations paralysent toute la ville. Malgré la mousson, les camions sillonnent frénétiquement les routes boueuses.
Sur les dunes, les mineurs étudient les allées et venues. Chaque visiteur étranger est une menace potentielle. Les militants pour le climat et les journalistes ne sont pas les bienvenus. S’enfoncer dans ce labyrinthe de sable, c’est découvrir une immense structure métallique, rappelant une cathédrale, située face aux mines. Cette machine de 30 mètres de haut sert à aspirer le sable noir de la nappe phréatique qui se trouve à plusieurs mètres sous terre.
« Cela n’a jamais été aussi rude »
Il n’est pas nécessaire d’aller bien loin pour voir les ravages causés par l’exploitation du sable noir à Sanyang. Une immense carrière borde une petite terre agricole. Mariama et Aminata [*] cultivent principalement du riz et des tomates sur leur terrain d’environ 1 hectare. De leur jardin, vous pouvez voir une énorme machine qui extrait le précieux sable noir. Soulevant à deux mains son pagne à carreaux noirs et blancs, Mariama peine à traverser la parcelle gorgée d’eau. « D’un bout à l’autre du terrain, tout est sous l’eau », s’inquiète cette mère de famille.
Des années d’extraction de sable ont profondément endommagé la terre. A chaque épisode de pluie, l’eau peine à s’écouler et inonde la terre. Ce phénomène est surtout visible fin juillet. « Toute cette eau noie les plantes et pourrit nos fruits et légumes », explique Mariama. Si nous ne pouvons plus cultiver à cause de la mine, nous ne pourrons plus nourrir notre famille. »
Au milieu du champ, le dos courbé, Aminata arrache des dizaines de plants de tomates immergés. « Ça n’a jamais été aussi dur, je ne gagne presque plus rien », regrette-t-elle, l’air abattu. Les deux femmes expliquent qu’elles gagnaient entre 25 000 et 50 000 dalasi, soit environ 450 à 900 euros, par an. Ce salaire dérisoire permettait de subvenir aux besoins du ménage. Cette année, ils ont peur de ne gagner que quelques milliers de dalasi.
Face à la destruction de leur outil, les jardiniers de Sanyang demandent réparation. « Les responsables de la mine sont venus ici », raconte Mariana. Ils ont écrit les noms de toutes les femmes et ont promis de l’argent. L’agriculteur est déçu lorsqu’il apprend qu’il ne touchera que 3 000 dalasi, soit près de 54 euros. « Nous avons accepté l’argent parce que tous les produits de la ferme ont été détruits. Nous n’avions pas d’autre choix. »
À Sanyang, les responsables de GACH Mining sont confrontés au défi des dommages causés par les mines de sable. A la mine, seul le contremaître représente l’entreprise et gère les ouvriers. Après négociations, il refuse tout commentaire, renvoyant la responsabilité de l’interview au ministère gambien de la géologie. Reporterre a contacté le ministère par téléphone à plusieurs reprises. Sans réponse.
Pillage sauvage
Outre l’exploitation industrielle des précieux grains noirs, un autre fléau affecte les sables de la Gambie : le pillage côtier endémique. Le sable blanc est volé simplement pour approvisionner les chantiers locaux en matières premières. Il ne faut que quelques heures à la plage ou au bord de la route pour qu’une poignée d’hommes remplisse l’arrière d’une camionnette. Ce sable est ensuite utilisé comme granulat ou transformé en béton.
Le village de Faraba Banta sur les rives du fleuve Gambie est une cible particulière pour les voleurs de sable. A une centaine de mètres des habitations, une carrière sauvage géante déforme le paysage. D’imposantes dunes ont été creusées à plusieurs mètres entre les arbres. Ici aussi, l’eau a tout inondé, donnant à la brousse l’apparence d’un marécage collant. Des traces de pelle sont encore visibles par endroits, ce qui prouve que les pillards n’étaient là que depuis peu.
A Faraba Banta, depuis 2007, l’exploitation du sable s’est accompagnée de pillages par la société gambienne Julakay. Comme à Sanyang, la surexploitation du sol sablonneux a endommagé les terres voisines, provoquant des glissements de terrain et des inondations. Face à cette catastrophe, les habitants ont tenté de révoquer le permis minier de Julakay en 2018, mais ont échoué. Plusieurs manifestations ont éclaté à Faraba Banta avant d’être violemment réprimées. Le 18 juin 2018, la police gambienne a ouvert le feu sur des villageois en colère, tuant trois personnes. Depuis ce jour, les habitants assistent impuissants à la disparition de leur sable.
Dans les ruelles du village, peu osent provoquer le drame encore aujourd’hui. Parmi eux se trouvait Bubacar Darboe, qui a été blessé par balle. Le 18 juin 2018, ce père de famille de 69 ans s’est joint à une manifestation pour convaincre son frère de rentrer à la maison avant que les premiers coups de feu ne retentissent. « J’ai essayé de m’enfuir, mais je suis tombé, j’ai essayé de me relever, mais je n’ai pas pu. Bubacar Darboe saigne abondamment. Il vient de recevoir une balle dans la jambe droite. Après avoir été traîné au sol par la police, il a été lynché pendant de longues minutes. Il a été transféré dans un hôpital de Banjul mais a survécu mais est resté gravement handicapé et incapable de se tenir debout sans l’aide d’un déambulateur. « Ma vie ne sera plus jamais la même. Je ne pourrai plus nourrir ma famille », souffle-t-il en désignant sa jambe cicatrisée.
« Nous avons parfois peur d’être assassinés »
Face à ces pillages, de jeunes Gambiens se battent depuis plusieurs années pour condamner ce crime environnemental. Pour observer les activités de l’association Gunjuri Murenoored, il faut se rendre dans la commune de Gunjuri dans le district de Kombo.
Depuis 2018, une centaine de jeunes ont replanté des arbres sur le littoral. Leur projet intitulé « One Man, One Tree » a porté ses fruits. Pour 350 dalas (6 euros), un habitant peut acheter un arbre et le planter avec les membres de la coopérative. « Cela motive les villageois, c’est leur contribution à cette catastrophe. Nous avons déjà planté 5 000 arbres avec des espèces telles que les cocotiers, le palissandre et les casuarinas », explique Buba Janneh, secrétaire général de l’association.
« Le gouvernement est impliqué dans ce crime. »
Au milieu de l’odeur nauséabonde de la farine de poisson d’une usine chinoise à 100 mètres, Buba Janneh se promène fièrement le long de la plage parmi les cocotiers nouvellement plantés. Ces arbres ne sont pas choisis au hasard, leurs racines peuvent atteindre jusqu’à 20 mètres de profondeur dans le sol. Cette technique permet de relever progressivement le niveau de la plage, protégeant ainsi davantage le littoral et luttant contre l’érosion.
Buba Janneh combat la peur car dénoncer le commerce du sable et ses conséquences écologiques peut coûter des vies. En 2020, des membres de l’association et des habitants se sont révoltés pour condamner l’utilisation des mines de sable à Gunjur, comme ils l’avaient fait à Faraba Banta deux ans plus tôt. Quelques heures plus tard, les soldats sont arrivés et ont menacé les villageois d’arrestation.
« On a peur tout le temps, parce qu’on condamne publiquement le fait que le gouvernement soit impliqué dans ce crime. Il faut être très prudent, pour être honnête, parfois on a peur du meurtre », avoue le jeune homme, penché sur l’un des L’association travaille maintenant à la plantation d’arbres sur la côte, à l’extérieur de Gunjur. Mon rêve serait de planter des arbres jusqu’à Banjul », explique Buba. Une action qui ne peut qu’être positive, sachant que d’ici l’an 2100 , si le niveau de la mer monte d’un mètre, plus de 9% du pays, y compris la capitale, Banjul, pourrait être submergé.
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