Un réfrigérateur impuissant, un four solaire, une petite éolienne issue d’un moteur d’imprimante, un pyrolyseur plastique pour la production de carburant… Autant d’exemples de low-tech, « ces technologies et savoirs qui sont utiles, abordables et durables à la fois » , définit Corentin de Chatelperron. Pendant six ans, Breton et son équipage ont sillonné le monde, sur le catamaran Nomade des mers, à la rencontre de ceux qui repensaient leur quotidien avec la basse technologie.
Un voyage qui a impliqué de nombreuses escales dans les pays en voie de développement, où les contraintes multiplient les ingéniosités. Mais pas seulement. « Il y a de la basse technologie partout, de plus en plus de gens s’y intéressent, et c’est tant mieux », assure Corentin de Chatelperron. Juste avant la fin de ce tour du monde, vendredi à Concarneau (Finistère), il correspond à 20 Minutes.
Comment peut-on définir les low tech ?
Ce sont des technologies qui répondent aux problèmes du quotidien. Accès à l’eau, à l’énergie, à l’alimentation, à la gestion des déchets, à l’hygiène et à la santé, aux matériaux de construction… Cette basse technologie doit non seulement être utile, mais aussi disponible, c’est-à-dire développée partout dans le monde, sans avoir besoin de ressources importantes ou de compétences hautement spécialisées. . Et s’ils ne peuvent pas toujours être produits 100% localement, ils doivent au moins être réparés et un entrepreneur local peut facilement se les approprier. Enfin, ces technologies doivent aussi être durables, dans le respect de l’homme et de la planète.
Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux low tech ?
Je suis allé travailler dans un chantier naval au Bangladesh. Nous fabriquions des bateaux de pêche en fibre de verre, un matériau très courant dans cette région. Très vite j’ai essayé de voir comment on pouvait utiliser des fibres de jute, présentes localement, pour fabriquer ces bateaux. J’ai monté un laboratoire de recherche et en 2013 nous avons réussi à lancer un navire 100% fibre de jute. Nous avons ensuite travaillé à transmettre ces connaissances à d’autres afin qu’elles puissent être appliquées localement. C’était déjà la première expérience de la basse technologie. Mais surtout, vivant dans ce pays parmi les plus pauvres, j’ai pu voir à quel point les Bengalis sont ingénieux pour contourner leurs ressources limitées et inventer la basse technologie. Devraient-ils être libérés après tout? C’est le problème. Les stratégies marketing sont très développées pour le high-tech, mais quasi inexistantes pour le low-tech.
D’où ce tour du monde à la voile de six années ?
La première étape a été l’achat en 2015 de Nomade des mers, un catamaran d’un peu moins de quatorze mètres de long et 7,50 mètres de large, que nous avons entièrement transformé en 2015. Nous en avons fait un laboratoire low-tech flottant avec l’idée de les tester en naviguant autour du monde et en en ajoutant de nouveaux, au gré de nos escales dans 26 pays. Une quinzaine de plaisanciers se sont relayés dans cette aventure débutée en 2016. Il devait durer trois ans, soit deux fois plus. Nous avons ajouté des arrêts, réalisé de nombreux prototypes low-tech, réalisé des documentaires pour Arte… Tout cela a pris plus de temps que prévu.
Quelles low tech trouve-t-on à bord du Nomade des mers ?
Nous en avons recensé plus de 150 low-tech en six ans. En accord avec leurs propriétaires, nous les avons étudiés, fait des tutos, réalisé des prototypes que nous avons testés à bord. Actuellement, Sea Nomad en compte environ 25. L’un d’eux est un système hydroponique qui permet aux plantes de pousser avec très peu d’eau – dix fois moins que le système conventionnel – et, surtout, sans un bon sol. Généralement en ville, dans des zones polluées ou sur un bateau. Nous avons donc 4m2 de cultures à bord du Nomade des mers où nous cultivons des « légumes feuilles », c’est-à-dire entièrement destinés à la consommation. Nous avons aussi un grand contenant dans notre alimentation rempli de spiruline, micro-algue comestible, source de protéines, de fer et de vitamines. Il a surtout cette capacité intéressante à pousser très vite tout en prenant peu de place. Chaque jour on peut en récolter un peu, filtrer et manger. Nous élevons également des larves de mouches noires que nous nourrissons de nos déchets organiques. Ils servent alors de nourriture à nos grillons, autre élevage sur notre navire qui nous apporte des protéines animales tout en ne nécessitant que très peu de ressources. Les champignons sont également cultivés et cultivés sur des copeaux de bois, comme nous l’avons vu en Thaïlande. C’est une autre source de nourriture, mais la partie racine – le mycélium – peut également être utilisée comme matériau de construction.
Et sur les volets énergie ?
Nous avons de petites éoliennes que nous avons construites au Sénégal, en utilisant des moteurs d’imprimante. Ils sont très robustes et peuvent toujours être utilisés même lorsque l’imprimante est considérée comme défectueuse. Certes, la puissance de ces éoliennes n’est pas grande, mais suffisante pour recharger nos appareils électriques. Nous utilisions souvent un interrupteur à pédale multifonctionnel qui nous permettait de charger des lampes et autres appareils électriques. D’ailleurs, on cuisine dans des fours solaires [qui transforment la lumière en chaleur pour la cuisson des aliments], très efficaces, certaines quantités à 200°. On peut aussi parler de pyrolyse du plastique, une technique que nous avons testée au Sri Lanka qui consiste à chauffer du plastique pour le transformer en essence.
Avez-vous découvert beaucoup plus de low tech que vous le pensiez ?
Oui. On s’est vite rendu compte que la low-tech est avant tout une approche. Chaque objet du quotidien peut être retravaillé pour être plus durable, réparable, plus abordable. Cela a considérablement élargi notre champ de recherche. À Cuba, par exemple, nous avons dévoilé des initiatives pour rendre les réseaux Internet locaux plus verts. Les pays en développement sont souvent les plus ingénieux en matière de basse technologie, parfois parce qu’ils n’avaient d’autre choix que de l’être. Quoi qu’il en soit, nous avons trouvé de la basse technologie partout. Notamment à New York où nous avons visité des cultures de spiruline, des champignons ou encore des systèmes hydroponiques sur les toits des immeubles…
Et en France ?
Bien sûr, nous le retrouvons. Avec le Low Tech Lab, notre association, nous avons lancé un tour des low-tech de France qui nous a permis d’identifier douze low-tech en Occident qui rendraient nos habitats moins énergétiques et plus durables. Nous les avons testés dans une petite maison*. Ce tour de France ne nous a pas permis d’être exhaustif. La basse technologie est en constante évolution de toute façon. Même les technologies que nous avons documentées il y a six ans ont depuis été optimisées. C’est par exemple le cas de la pyrolyse des plastiques pour la production de carburant, un procédé actuellement travaillé par Plastic Odyssey et Earthwake, deux projets français. Ce qui est certain, c’est que les low technologies suscitent un intérêt croissant. Les médias en parlent, les entreprises se lancent, les écoles créent des formations. Même des territoires, comme la région Bretagne, intègrent l’accès low-tech dans leur stratégie de développement.
Pourquoi faut-il se pencher sur les low tech ?
Ils jouent un rôle clé dans la transition écologique. De nombreuses low technologies ont déjà été développées et ne demandent plus aujourd’hui qu’à être partagées, reprises, améliorées. Beaucoup ont le potentiel de changer notre vie quotidienne. Mais, encore une fois, chaque objet de notre quotidien, même de haute technologie, peut être retravaillé de manière plus utile, abordable et durable. Cependant, dans de nombreux domaines, ce travail n’a pas encore été fait. On a trouvé beaucoup de low-tech dans l’hygiène, la santé, les matériaux de construction… Autant dire qu’il y a encore beaucoup à faire dans le low-tech.
Quelle va être la suite de ce tour du monde ?
En créant le Low Tech Lab, l’idée était de documenter et de partager les low-tech et les savoir-faire découverts lors de notre tour du monde ou de notre tour de France. Tout est gratuit et open source sur la plateforme de collaboration wiki.lowtechlab.org. N’importe qui peut s’inspirer de ces tutoriels pour revoir ces technologies, construire des prototypes, voire créer une entreprise… Cette encyclopédie compte actuellement 53 tutoriels. Cette liste va évidemment continuer, mais nous ne sommes plus les seuls à nous occuper de cette affaire. Une trentaine de laboratoires low-tech ont fait leur apparition en France, mais aussi au Cameroun, en Grèce, en Belgique et en Suisse. Ils vont regarder ce qui se passe dans leur région. De plus, nous avons mis en place le programme Low tech Explorer, qui aide les jeunes à voyager, près de chez eux ou à l’autre bout du monde, pour développer des low technologies ou en trouver de nouvelles. C’est ce travail de coordination qui va désormais nous occuper principalement à Concarneau. Mais un autre projet est déjà à l’étude : passer quatre mois en quasi-autonomie, dans une base pour low-tech vivant dans le désert mexicain. Cela devrait commencer l’hiver prochain.
* dans laquelle deux membres de l’association – Clément Chabot et Pierre-Alain Lévêque – ont vécu pendant un an.