Il nous attend devant la Bibliothèque Nationale François Mitterrand, ses longs cheveux sous un chapeau, une chemise noire à pois, un gilet bordeaux, des chelsea boots et une main aux doigts bagués… L’esprit dandy rock de Jef Aérosol semble éternel. Cela dure depuis 40 ans, libérant ses sprays sur les murs de la ville et les peintures des galeries.
Au 147 avenue de France, deux grands espaces en béton brut sous l’égide de la galerie Mathgoth exposent ses travaux d’atelier ainsi que les créations qui l’ont fait connaître dans la rue, des pochoirs (en vente de 1 500 à 10 000 €) travaillés sur des supports en carton. Il y a des autoportraits, dont le célèbre « Shuuuttt!!! avec le visage du street artiste aux yeux exorbités, un pochoir monumental qui se dressait à Paris face à la fontaine Stravinsky de Niki de Saint Phalle et Jean Tinguely. Mais aussi des anonymes , enfants , rock stars, ou « cityscapes », ces paysages de métropoles imaginées…
Autant de tableaux « multicouches », c’est-à-dire « multicouches », obtenant un résultat ultra-réaliste proche de la photographie, avec sur chacun d’eux cette petite flèche rouge qui est devenue son sceau, sa marque. Comme pour indiquer la direction dans laquelle regarder.
Un peu moins connu que d’autres stars du genre (Banksy dans le rôle principal), également moins engagé politiquement, l’homme est pourtant l’une des figures incontournables de l’art urbain. Jean-François Perroy, alias Jef Aérosol, est né à Nantes en 1957. Désormais installé à Lille, il appartient à cette première vague de lutins de l’art urbain qui a développé la main pochoir dans les années 80, portée par le punk et le hip-hop.
L’artiste gratte la guitare dans divers groupes folk rock (Windcatchers, Distant Shoes) sans jamais s’arrêter de dessiner. Il s’inspire naturellement des affiches et de l’iconographie rock, dessinant des figures du genre de Bowie à Dylan, mais s’imprègne aussi de l’esprit des bandes dessinées et des pochettes de vinyles.
Jef Aérosol est professeur d’anglais le jour et « bombe » ses silhouettes noires sur tous les murs de France le soir. Avant de quitter l’école pour se consacrer exclusivement à ses deux grandes passions, le dessin et la musique.
Pour comprendre son intérêt pour le street art, une date clé, 1981 :
« En 1981, j’ai assisté au concert des Clash à Paris et là j’ai découvert sur scène la peinture New Yorker Futura 2000 en direct avec un aérosol sur une grande toile, un procédé totalement nouveau à l’époque », raconte-t-il.
L’engouement pour le pochoir urbain explose. En 1982, quand Jef Aerosol a commencé, il avait 25 ans. Sa toute première intervention dans une rue du vieux Tours est un autoportrait punkoïde au pochoir. Jusqu’à fin 2010, il répand des centaines de visages (hurlants, grimaçants, furieux, défigurés) dans les rues et rejoint le gang de Blek le Rat, feu Nemo et Miss. Tic, Epsylon Point, Speedy Graphito, autant d’artistes célèbres qui ont commencé en même temps que lui. Il nous dit :
« Je me suis beaucoup inspiré du nouveau mouvement réaliste et de la figuration narrative avec des figures de proue comme Gérard Fromanger ou Jacques Monory ».
Ses œuvres sont rapidement remarquées et les salles de vente aux enchères et les galeries lui ouvrent leurs portes depuis la rue. Plus poétique que politique, son message artistique reste populaire. Au départ, les sujets de ses pochoirs n’étaient autres que lui-même, une sorte de selfies de Jef Aeeosol. Il exploite alors le filon des stars et des retardataires, transformant tout le monde en VIP (Very Important Stencil), comme le « Sitting Kid », un jeune enfant seul et replié sur lui-même, un motif qui a fait le tour du monde, de New York à sur la Grande Muraille de Chine.
A côté de l’exposition, le clou du spectacle se situe dans un deuxième espace, séparé du premier, avec une installation monumentale conçue par l’artiste. Une immersion instantanée dans une jungle urbaine totalement chaotique qui reprend les codes de l’esprit street avec 200 personnages grandeur nature sur carton peint dans un dégradé noir et blanc envoûtant.
Jef Aérosol, 40 ans de pochoirs, jusqu’au 5 novembre 2022147, Avenue de France 75013 Paris. www.jefaerosol-40ansdepochoirs.fr