L’asphalte n’est officiellement plus du domaine des hommes. Au cours des dernières années, la culture pop s’est occupée de mettre les femmes au volant de gros vélos et de machines sans retenue, prêtes à claquer des pneus et à se moquer de la faucheuse. Le dernier album de la pop star espagnole Rosalía s’appelle bikeuse ou motomami (« fille sur une moto »). Dans son premier long métrage Rodeo, Lola Quivoron rend hommage à ceux qui ont fait avancer les stéréotypes pour les dissiper. Ode à la marginalité et à la pureté de la scène mécanique, ce premier opus magistral fait sensation à Cannes, où il est présenté dans la section Un production. Reparti avec le prix coup de cœur du jury, le film sort enfin en salle, après avoir fait plusieurs festivals dont Champs-Élysées Film Festival en juin dernier.
C’est dans ce contexte que nous avons rencontré ce jeune réalisateur dont l’assurance et la sensibilité vont de pair et influencent l’ambiance générale de Rodéo. Fille d’un père ingénieur, ancien guitariste du groupe punk Les Wampas, et d’une mère plasticienne, Lola Quivoron a vécu à Épinay-sur-Seine, dans le quartier d’Écondeaux. A 15 ans, un déménagement dans la banlieue bordelaise vient brusquement bouleverser le conte de fées, avec l’adolescence et son agitation inhérente. Dans ces villes où « tout le monde se connaît », la jeune fille ne trouve plus ses repères. « Il y avait un manque de variété et il n’y avait plus d’asphalte sur les trottoirs. Tout m’était complètement étranger. »
A travers un professeur de philosophie battu au lycée, le cinéma se transforme en évasion. « Je passe beaucoup de temps à lire à la médiathèque. C’est le seul endroit où j’ai l’impression d’avoir une place, une sorte de bénéfice de la solitude. Mais je tombe aussi en dépression. Mes parents sont inquiets. La seule façon pour moi de sortir de cette phase et de voir la réalité du monde est de regarder des films », se souvient-elle avec émotion. Cette passion pour le septième art naît dans la colère. Pourrait-elle se révéler ailleurs ? La musique? Son père veut lui apprendre la guitare mais leur relation est trop compliquée. Le dessin? Succession consacrée d’un jeune frère respecté par la mère. « Elle a vu un jeune dessinateur d’une manière qu’elle ne m’a pas regardé. » Le cinéma est le seul outil de projection, au présent et au futur. Une classe préparatoire plus tard, elle entre dans la prestigieuse école La Femis.
A 27 ans, l’actrice Julie Ledru fait irruption à l’écran dans le rôle de Julia, héroïne et cavalière téméraire de Rodéo. © Les Films du Losange
Même pas mâle
De retour à Paris après ces nombreuses années douloureuses, Lola Quivoron ressuscite les paysages qu’elle a réalisés dans ses courts métrages. Il narre aussi des espaces qui lui ont longtemps été refusés : ceux de la masculinité. « J’étais obsédé par l’idée d’avoir des muscles. Je ne suis pas d’accord avec les représentations standardisées de la masculinité ou de la féminité. Je me vois comme une sorte de spectre qui oscille entre les deux. L’incertitude est une chose très belle et excitante pour moi. C’est plus fluide que l’eau qui coule, quelque chose qui échappe à tout contrôle, ce qui signifie beaucoup pour moi. En 2015, Fils du loup raconte l’histoire de la relation entre un jeune garçon et le chien d’attaque qu’il dresse. Un an plus tard, Au loin, Baltimore et son vélo insolent, file vers les étoiles, annoncent Rodeo. « Je m’intéresse souvent aux communautés ghettos parce que je veux savoir comment cela fonctionne sans les femmes. Je sais que je devrai me battre là-bas pour mettre en œuvre ma vision et j’aime ça.