« Pesticides : Hypocrisie européenne » dans Arte : Efforts toxiques européens au Brésil

Application aérienne sur un champ de soja dans l’état du Mato Grosso. Une pratique menée sans cadre légal, s’inquiètent les dirigeants de « Pesticides : l’hypocrisie européenne ».

Paulo Fridman / Corbis via Getty Images

Déforestation, pollution, maladies… Au Brésil, l’utilisation massive de pesticides a fait de l’agriculture une activité illégale. Mais l’Europe, l’un des plus gros exportateurs de ces produits chimiques, feint d’ignorer ce système, dénoncent deux réalisateurs dans ce surprenant documentaire.

C’est un cercle vicieux et toxique que met en lumière Pesticides : l’hypocrisie européenne, l’enquête menée par Stenka Quillet et écrite par Anne-Vigna avec Nicolas Glimois, diffusée mardi à 22h25 sur Arte. Leur démonstration raisonnée et rigoureuse révèle les conséquences délétères d’un cercle infernal qui lie le Brésil à l’Europe. Car le géant sud-américain est devenu un eldorado pour les producteurs européens de pesticides. Ils commercialisent chaque année près de 80 000 tonnes de substances dont l’usage est interdit en Europe. En échange, pour un montant de près de 2,5 milliards d’euros, le Brésil exporte vers le Vieux Continent des produits agricoles, des aliments qui portent des traces de résidus de pesticides. Un exemple paroxystique de mondialisation aux conséquences désastreuses. Ainsi, dans les villages brésiliens coincés au milieu d’une exploitation agricole extensive, les travailleurs et leurs familles sont victimes de maladies graves. Quant à l’eau de la moitié des villes brésiliennes, elle n’est pas potable. Le point de vue des réalisateurs sur ce scandale sanitaire et environnemental.

Comment est née l’idée de cette enquête ? Stenka Quillet Il dérive de l’atlas publié en 2017 par Larissa Bombardi, géographe de l’Université de São Paulo. Il établit le lien entre l’exportation vers le Brésil de pesticides dont l’usage est interdit en Europe et le mode de production agricole adopté dans son pays. Une démonstration contre-intuitive mais éclairante, qui souligne à quel point l’industrie chimique dépend de l’agriculture et non l’inverse. Parce que les producteurs de pesticides ont besoin de terres agricoles toujours plus grandes pour vendre et gagner de l’argent. Certaines zones équivalentes à la taille de la Belgique ont été transformées pour cultiver des cultures destinées à l’exportation. Les récoltes ne servent pas à nourrir les Brésiliens mais à produire notamment du soja vendu en Europe !

Des pesticides se retrouvent à des doses astronomiques dans l’eau d’une école régulièrement analysée par l’Université d’État du Mato Grosso.

On comprend dans votre film combien il est compliqué de travailler sur ces questions au Brésil… Anne Vigna Pour les questions liées aux revenus publicitaires, les principaux médias brésiliens évitent d’enquêter sur l’industrie agro-alimentaire. D’autre part, de nombreux sites d’information indépendants ont fait leur apparition sur Internet, comme Repórter Brasil ou Agência pública. Ils sont particulièrement intéressés par les questions liées à l’alimentation. Mais leurs enquêtes sont systématiquement dénigrées. Ils sont accusés de manipuler ou de créer de fausses informations. Un phénomène inquiétant s’est également développé : les attaques contre les scientifiques. Ils ne peuvent plus mettre les pieds à certains endroits. Ainsi, dans l’État du Mato Grosso, les membres du petit institut de recherche local sont personæ non gratæ. Pourtant, ils sont les seuls à mener des études sur les pesticides. Quant à la géographe Larissa Mies Bombardi, elle a quitté le Brésil suite à des menaces.

Prenons aussi l’exemple du journaliste britannique récemment assassiné Dom Philipps et de l’anthropologue Bruno Pereira, défenseurs de l’Amazonie. Au Brésil, on raconte que le retard dans le démarrage des recherches pour retrouver les deux hommes est lié à la question posée par Dom Philipps au président brésilien sur ce qu’il comptait faire de l’Amazonie. Jair Bolsonaro a répondu : « Vous devez d’abord comprendre que l’Amazonie appartient au Brésil, ce n’est pas la vôtre ! »

« Pour vendre et gagner de l’argent, les producteurs de pesticides ont besoin de surfaces agricoles toujours plus grandes », explique la directrice Stenka Quillet.

Kino Press / Kino / ARTE G.E.I.E

Dans le film, vous précisez qu’une cinquantaine de militants écologistes sont assassinés chaque année au Brésil. Comment s’est passé le tournage ? SQ Pour la première fois, j’ai été obligé d’annuler une séquence que nous avions tournée. Un de nos interlocuteurs, un homme dont le rôle était d’appliquer des pesticides dans l’état du Mato Grosso, s’est rétracté après notre entretien. Il nous a poursuivis, la nuit, dans la petite ville où nous étions. A un moment, il a bloqué notre voiture avec la sienne. Il nous a menacés. Un élu local est venu le soutenir, nous ordonnant d’annuler le passage en question sous peine d’être conduit à la gendarmerie. Nous avons respecté pour ne pas mettre en danger l’équipe sur place et les scientifiques qui nous ont parlé. Dans ce coin du Mato Grosso, il y a le Far West. La liberté de la presse ne veut plus rien dire.

Pris dans l’emprise de vastes exploitations, certains paysans, comme Arnaldo Soares Borges, du Mouvement des sans-terre, tentent de proposer un modèle alternatif de culture.

Comment expliquez-vous ce contexte ? AV Après l’élection du président brésilien Jair Bolsonaro en 2019, les industriels agricoles ont senti leurs ailes grandir. Leur poids économique n’a cessé d’augmenter. Tout comme leur importance politique. Aujourd’hui, le groupe rural, qui défend les intérêts de cette industrie, représente 50 % des sièges au Parlement. De nouvelles élections sont prévues en octobre et la tension est palpable puisque l’ancien président Luiz Inácio Lula pourrait gagner. Cela impliquerait vraisemblablement un changement dans la prise en compte de l’environnement. Signe de cette tension, des drones habituellement utilisés pour épandre des pesticides dans les champs ont pulvérisé de l’urine et des excréments sur les partisans de Lula lors d’un meeting…

Comment vous sentez-vous à la fin de cette enquête ? SQ Déprimé et affectueux. Nous avons filmé des enfants nés avec des malformations ou souffrant de puberté précoce. Les paysans sont malades. Lorsque nous mangeons un pamplemousse ou un autre fruit tropical ici, nous devons penser aux conditions dans lesquelles il est cultivé et à la façon dont vivent les personnes qui le produisent. Et demander aux politiciens d’agir.

r Pesticides : l’hypocrisie européenne, mardi 5 juillet à 22h25 sur Arte.

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